Technomariage – Élaboration de l’Environnement Virtuel
Ma rencontre avec Sophie et Fred s’est faite alors qu’ils étaient en plein déménagement ; ils quittaient un petit appartement ou j’ai été reçu lors de notre première entrevue et l’ambiance particulière précédant ce changement heureux m’a tout de suite mis a l’aise. C’est donc sur la table de la cuisine que Fred m’a décrit ce qu’ils imaginaient faire pour leur mariage ; mettre en parallèle leur vie ‘réelle’ et leur vie ‘électronique’, en scellant ainsi cette double union dans un seul évènement.
Nous avons fait des croquis, imaginé des représentations virtuelles et je commençais déja à concevoir le système d’animation temps réel de leurs avatars. Assez vite, j’ai pu faire comprendre ce qui pour moi seraient les principaux obstacles technologiques, mais au lieu de nous bloquer dans la partie la plus « créative », nous rebondissions sur les problèmes pour en faire des atouts du système… Il me semble qu’ils n’avaient pas encore défini entièrement ce qu’ils attendaient d’un tel système, mais leur connaissance des nouveaux medias les avait habitués à traiter avec la technologie. Toujours est-il que au fur et a mesure que je présentais les possibilités techniques et qu’ils exposaient les éléments qu’ils souhaitaient intégrer au monde virtuel, nous les associons facilement les unes aux autres, presque naturellement.
C’est ainsi que toutes les idées principales de l’environnement virtuel du techno-mariage sont venues. Par la suite, la réalisation et le développement informatique ont découlé sans remise en question. Enfin, aussi grâce à cette conception simple et claire, le système s’est montré robuste et efficace lors de la démonstration.
Le système informatique
Je ne vais pas entrer dans un descriptif des appareils utilisés pour cette installation, mais avant même que je puisse parler de mon travail, il me faut présenter le principe adopté.
Faire de l’animation 3D temps-réel est chose courante aujourd’hui. Il suffit pour cela d’une bonne machine de rendu (de Silicon Graphics à la console Play Station 2, le principe est le même), et d’objets virtuels à animer. Pour l’aspect matériel, le soutient de SGI nous a permis de disposer d’une station Octane 2 suffisamment performante, et le travail des graphistes de DUBOI / CTN (habituellement spécialisés dans les trucages de cinéma) nous a offert les avatars et les décors de la scène. Je préciserais qu’il s’agissait d’une réelle collaboration puisqu’ils ont su adapter leur réalisation aux contraintes que je leur imposais (quantité de polygones limitée, meshs déformables, objets décomposés…).
Ce qui est plus particulier est d’utiliser des capteurs de position et d’orientation comme interface d’animation des avatars. J’avais déjà travaillé avec un appareil magnétique de mesure du mouvement pour une autre installation virtuelle développée au CICV1 (Installation ICARE de Ivan Chabanaud). Cette autre collaboration avec ce centre artistique m’a permis d’y développer le programme et d’utiliser leur Polhémus Fastrak. Cet appareil dispose de 4 capteurs magnétiques de position et d’orientation, ce qui veut dire que si je fixe ces capteurs sur la tête de Sophie et de Fred, je peux a tout instant connaître leurs mouvements et la direction de leurs regards.
C’est donc ce que nous avons fait. Sophie et Fred étaient équipés chacun d’un capteur sur la tête et d’un sur une main. Je pouvais alors dans mon programme connaître tout de ces 4 points et en déduire des informations sur leur comportement ; Fred regarde Sophie? Sophie regarde Fred? Fred tends la main vers Sophie, ou inversement… Ils se serrent la main… Ils se regardent tous les 2… etc… Le tout me donnant suffisamment d’évènements que les avatars reproduiront a leur manière.
Enfin, un lien direct avec le site web permettait de diffuser régulièrement les images du monde virtuel (pas en vidéo, 1 image toutes les 4-5 secondes).
La phase de développement
Je ne me souviens plus de la trame exacte de la réalisation du programme du techno-mariage. Je me rappelle seulement qu’à mon retour de Paris, après cette première rencontre, j’ai commencé à programmer ‘à l’aveugle’. C’est à dire que, n’ayant pas encore les modèles 3D pour faire un rendu graphique, j’ai construit le processus interactif et mes objets (fred, sofi, maire… déclarés comme des classes C++2) sans pouvoir en voir le comportement. J’avais suspendu au plafond un fin tasseau de bois qui supportait a chacune de ses extrémités un cintre. Sur ces cintres, j’avais mis des manteaux qui représentaient Sophie et Fred, et qui me servaient de support pour les capteurs (un sur chaque ‘tête’ et un sur chaque manche). Je pouvais ainsi tester les interactions entre les deux personnages et vérifier que mes calculs fournissaient bien les évènements voulus :
* fred et sofi se regardent.
* fred lève le bras.
* sofi lève le bras.
* fred tends la main a sofi.
* sofi tends la main a fred.
Cette méthode de programmation est finalement très efficace. J’ai en effet passé un bon moment avec mes objets « virtuels purs » (pour paraphraser le jargon informatique), à les façonner de manière compacte et simple sans avoir à me soucier de l’implémentation des détails de la programmation 3D. Le noyau du système lui aussi a ainsi pu être étudié sérieusement avant d’attaquer la phase de développement graphique.
Mais cette première phase de programmation n’a pas pu durer. Après le travail d’intégration graphique des modèles 3D, j’ai rapidement du m’atteler à l’animation des avatars. Chacun des 2 personnages animés réagit aux interactions entre Sophie et Fred d’une manière exagérée et purement visuelle. Ainsi, ces doubles virtuels (sofi et fred) se lancent respectivement des fleurs et des petits coeurs qui jaillissent de leurs mains. Ils peuvent aussi jouer sur leur propre apparence en élevant plus ou moins leur coiffe ; sofi est surmontée d’une couronne de pétales, alors que fred est auréolé de rayons solaires… Enfin, quand leurs regards se croisent, un flot de colombes s’envole et disparait dans le ciel. Je crois aussi me souvenir que l’animation de l’écharpe tricolore du maire a été ajoutée en cours de développement ; il s’agissait de pouvoir prendre l’écharpe de l’avatar de Mr Santini pour qu’elle encercle le couple après la proclamation de leur union (symbole du mariage républicain). Chacune de ces animations dépendant de paramètres temps réel, elles ne pouvaient être pré-enregistrées et ce fut très plaisant de jouer d’équations et d’interpolations pour obtenir des résultats visuellement chatoyants et fluides. C’est en effet une des rares phases du développement où vos souvenirs douloureux de cours de math vous reviennent sans amertume, et où cette matière d’habitude jugée abstraite et intellectuelle vous semble presque familière.
Quelques petits détails furent ensuite ajoutés. Je me suis par exemple amusé à animer l’avatar de Mr Santini pour le rendre un peu plus vivant (respiration). Fred m’avait aussi fourni des vidéos de ses précédentes installations ; elles furent intégrées comme paysage de l’environnement virtuel. Des buissons fleuris devaient aussi égayer la scène à la fin de la cérémonie ; je dois dire que mes petits arbustes fractals faisaient finalement un peu maigre (mais pour des raisons de puissance de calcul, nous en sommes restés là).
Figure: Passage réel-virtuel-réel lors du calcul d’une image 3D. Cela peut sembler un peu ardu, voire superflu que j’aborde les problèmes de développement informatique. Mais cela fait entièrement parti de ce que fut mon expérience du Technomariage. Le Technomariage, c’est aussi ces avatars 3D, donc c’est aussi leurs objets virtuels informatiques. D’autre part, il me semble superficiel de n’évoquer que les résultats graphiques obtenus, alors que tout le propos de cette installation réside dans l’existence de ces doubles virtuels de Sophie et de Fred, « plongés » dans un espace-temps parallèle.
Une à deux semaines avant l’évènement, le programme était quasiment terminé. Nous avions sagement prévu une semaine de mise en place dans l’enceinte de la mairie. J’ai donc « empaqueté » mon programme sur un CD, soigneusement emballé le système de capteurs, et mis quelques affaires personnelles dans la place qui restait…
Le mariage
Me voici donc de retour à Paris. Pour la petite histoire, je préciserais que Fred m’avait hébergé dans leur nouvel appartement encore vide. Ça sentait le neuf et je me souviens de son excitation en m’en faisant visiter toutes les pièces, et surtout en me montrant sa nouvelle connexion haut débit ! J’ai posé mon sac dans la chambre, et nous sommes rapidement repartis.
Cette semaine a en effet été très chargée ; il fallait coordonner les interventions des différents partenaires dont les domaines allaient de l’hébergement du site web au spectacle vivant. Il ne suffisait pas d’exposer les éléments technologiques, il fallait les mettre en scène. Pour cela, Etienne, un ami intermittent du spectacle, fut dès le début impliqué dans l’aventure pour l’organisation technique de la scénographie. Les réunions à la Mairie d’Issy-les-Moulineaux se succédaient, et chaque jour les intervenants venaient préparer leur matériel. Installé le premier avec ma petite Octane dans un coin, j’ai vu la salle du conseil municipal se transformer progressivement en plateau TV-internet.
L’arrivée de l’équipe de retransmission vidéo ajouta aux derniers préparatifs l’ambiance d’avant-spectacle, et leur manière d’aborder l’événement comme une émission TV lui donna une tournure tout à fait amusante : il s’agissait bien d’une performance en direct, avec une seule prise et sans répétitions…
Je passerai les problèmes techniques de tous niveaux que nous avons du résoudre avec les moyens du bord (même si c’est un aspect que j’apprécie toujours avec les technologies. Plus elles sont complexes, plus elles tiennent sur des bricolages simples et ingénieux… ). Je citerai seulement le petit outil informatique que j’avais programmé vite fait, et qui s’est avéré très utile : je pouvais prédéfinir des angles de vue et les enchaîner automatiquement en suivant des courbes fluides qui imitaient des mouvements de caméra (interpolations (bi)linéaires des positions et des quaternions). Sur ma petite fiche décrivant le déroulement de la cérémonie, j’avais inscrit les passages importants et je n’avais plus qu’à choisir si je voulais cadrer fred et sofi, ou le maire, ou une vue d’ensemble, etc… Le tout associé avec un système de double fenêtrage (une fenêtre pour l’image diffusée toujours bien cadrée, et une autre de navigation à la souris ou je pouvais me risquer à des choix de prise de vue sur le vif), j’avais de quoi rendre vivante la diffusion de mon environnement virtuel.
Le jour venu, levé de bonne heure, j’arrivais à la mairie d’Issy-les-Moulineaux avec un peu plus de stress que d’habitude (même si le gardien me demanda comme chaque jour ce que je venais faire là). Et puis tout est flou dans mes souvenirs jusqu’au début de la cérémonie. Je me rappelle seulement avoir placé soigneusement les capteurs sur Sophie et Fred et que les spectateurs commençaient à être nombreux. Nous commençâmes avec l’arrivée de Mr. André Santini. J’avais comme toute l’équipe TV un émetteur-récepteur pour communiquer avec le car-régie où le réalisateur coordonnait les images. Je me souviens surtout des « BRUNO ! VIRTUEL! » lancés de temps à autre dans l’oreillette avant de diffuser mes images. Je m’amusais à écouter les commentaires et les ordres rapides donnés aux cameramen (dont le job était bien plus pénible que le mien) qui contrastaient avec l’aspect fluide et « sans problème » des séquences vidéo diffusées…
Enfin, les voilà mariés, le ruban tricolore flotte autour de leurs avatars et les colombes n’en finissent plus de s’envoler (normal, ils s’embrassent ;=)
Et pas un bug! Pas un plantage! L’environnement virtuel a tenu le coup sans accrocs. Et pourtant, je sais que la technologie est parfois capricieuse et que toutes les préparations ne sont pas toujours suffisantes (c’est pourquoi je n’aime pas travailler avec internet). « Bien content » : voilà qui résumerait mon sentiment du moment.
Bien sur, il a fallu ranger après l’apéro et les pti’s-fours, mais ça fait parti du boulot. Et puis tout compte fait, je préfère les manifestations uniques et immédiates. Pas de répétitions, pas d’améliorations à apporter, pas de regrets ; ce fut ainsi un point c’est tout, et je tourne la page. Les enseignements, je les garde pour de prochains projets…
Remerciements
Fred et Sophie pour leur confiance et leur amitié,
Etienne pour sa collaboration technique dans la mise en scène,
et Margot ( ma fille…) pour avoir attendu sagement mon retour avant de naître…
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Footnotes
… CICV1
Centre International de Création Video Pierre Schaeffer, www.cicv.fr.
… C++2
Langage de programmation